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Reportage en Arménie - DE LA COMEDIE AU DRAME...
Garen Kalandarian rêvait d'une carrière au cinéma arménien. Il est aujourd'hui concierge dans le quartier de Nork, à la périphérie de la capitale arménienne. "En 1988, je suivais des cours à l'institut des arts dramatiques, afin de me lancer dans une carrière d'acteur et comédien. Le cinéma arménien étant dans les années quatre vingt en pleine effervescence. Mais les événements historiques qui ont basculé le pays dans l'indépendance, ont mis à néant mes rêves..." se lamente aujourd'hui Garen en me fixant de ses yeux noirs qui ont depuis longtemps déjà perdu leur éclat. L'homme qui semble être vieilli avant l'âge a perdu tout espoir depuis l'anéantissement de ses rêves. "Le peuple tout entier voulait en 1988 l'indépendance de l'Arménie. Mais personne ne savait que le prix à payer pour cette liberté était énorme, plongeant des millions de gens dans la misère ou l'exil" reprend Garen qui voudrait émigrer vers la Russie ou les Etats-Unis. Mais sans argent et sans parents proches à l'étranger, Garen est condamné à rester à Erévan et survivre de son métier de concierge. "Les gens ici, en Arménie sont plutôt sympathiques, ils comprennent très vite la détresse de chacun car eux même sont pour la plupart en situation précaire. Dans mes immeubles, certains m'encouragent parfois, en me lançant quelques phrases de Sheakspire ou de Don Juan. D'autres m'invitent quelquefois à leur table. Il y a une réelle solidarité. Mais est-elle suffisante pour trouver le bonheur ?" reprend Garen en caressant longuement sa barbe. L'homme qui ne vivait que pour le spectacle et la scène et s'apprêtait jadis à réaliser une carrière exceptionnelle réalise en fait que les meilleurs rêves peuvent soudain se transformer en un véritable cauchemar. Entre cigarettes et alcool pou tuer des nuits d'insomnie et des blessures au coeur à faire éclater l'homme en sanglots, Garen a selon lui "raté sa vie professionnelle et sentimentale". Les stigmates de cette vie gâchée par une vocation non assouvie se lisent aisément sur les murs du petit appartement de Garen, au rez-de-chaussée d'un immeuble délabré d'une dizaine d'étages. Des murs recouverts de photos jaunies par l'âge. Des images d'Yves Montant, Belmondo, Frank Sinatra et Luciano Pavarotti, en passant par Elisabeth Taylor, Edith Piaf ou Marilyn Monroe. Dans un coin, au-dessus d'un chevet, d'autres photos, placées en forme de coeur m'intriguent et captent mon regard. "Ma femme et mes deux enfants..." me lance aussitôt Garen sans plus de commentaires. J'apprendrai plus tard qu'après quelques courtes années de bonheur, le couple pris dans la tourmente du chômage et des fins de mois difficiles, s'est déchiré. Alla -c'était le nom de son épouse- a demandé et obtenu le divorce pour aussitôt émigrer vers les Etats-Unis et rejoindre son frère établi à Los Angeles. Depuis, Garen récupère les nouvelles à travers quelques rares amis de passage à Los Angeles. "Mes enfants, David et Lucinée sont paraît-il très heureux en Amérique. Ils fréquentent un lycée Américain et se débrouillent très bien en classe" lâche Garen entre deux bouffées de cigarettes et d'ajouter "même s'ils parlent presque plus l'arménien, au moins, là-bas, ils réaliseront peut-être un jour leur rêve. Ici en Arménie, le rêve n'existe plus...". Entre deux phrases, Garen me dira qu'Alla est mariée et qu'elle a refait sa vie avec un Arménien d'Iran. "Le plus terrible, voyez-vous, c'est que je ne lui en veux aucunement car avec moi elle aurait également gâché sa vie dans cette misère" reprendra Garen portant un verre de cognac arménien à la santé de ses enfants. A près de quarante-cinq ans, Garen qui en paraît quinze de plus a perdu tout espoir de la vie. Un vie où "chaque jour est une journée de galère" dit-il. Sous d'autres cieux, Garen aurait sans doute brillé telle une étoile. Aucune étincelle non plus dans les yeux éteints de Garen pour qui la vocation non assouvie est devenue un calvaire quotidien. Un cauchemar s'interrompt brusquement le temps d'une plongée dans le passé ou sur une note de Pavarotti, pour aussitôt reprendre de plus belle après ce moment rare de grâce... Krikor Amirzayan |
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