JOURNAUX ET ARTICLES

Reportage en Arménie

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HRATCHIG, L'ENFANT ABANDONNE

            

De ses yeux verts Hratchig vous fixe à neuf ans comme un adulte. De ses parents, il ne s'en souvient plus très bien. Hratchig est ce qu'on appelle un enfant abandonnée que le centre pour les orphelins d'Erévan a recueilli presque aussitôt après sa naissance par les autorités sanitaires et sociales du pays. Phénomène rare, voire exceptionnel dans la société arménienne voici dix ans dans un pays réputé très proche des valeurs de la famille, l'Arménie découvrait soudain avec l'indépendance, les difficultés sociales et les changements d'esprit de ses habitants, qu'elle n'était pas épargnée par le phénomène d'abandon d'enfants. Même si les statistiques fournis par le Ministère arménien de la Santé publique recensent dans la République quelques centaines de cas, le phénomène est encore très loin des seuils atteints par certains pays développés d'Europe orientale et occidentale.

"La mère du jeune Hratchig était une arménienne originaire de Tbilissi. Elle était venue à Erévan faire ses études. Sans racines à Erévan la jeune fille se trouva quelque peu isolée. C'est lors d'une de ses nombreuses fréquentations éphémères qu'elle fut enceinte de Hratchig. Le père présumé de l'enfant l'ayant quitté aussitôt" nous dit Suzanna Agopian l'une des responsables de l'orphelinat d'Erévan. Et de reprendre que "après quelques mois de galère, la mère décida de confier l'enfant au centre. Elle était incapable de s'occuper et de nourrir le bébé. D'autant que tout en continuant ses études, elle faisait des petits-boulots allant jusqu'à la prostitution. D'après nos informations, aujourd'hui elle exercerait même ce métier dans les Emirats...".

Hratchig quant à lui ne connaît rien de cette histoire. Les soignantes et le personnel féminin du centre sont pour lui autant de mères en remplacement de celle qu'il n'a pas connu. "Malgré l'affection que l'on donne à nos enfants du centre, rien ne peut remplacer l'affection maternelle. Si bien que l'on est incapable de dire si Hrachig ou d'autres enfants dans son cas, s'en sortiront indemnes de l'enfance. Seront-il de bons adolescents et plus tard des citoyens normaux ? On ne le sait pas ! Mais de notre côté on leur donne le maximum d'armes nécessaires à trouver une vie normale lorsqu'ils sortiront du centre" lance Suzanna Agopian.

Dans la cour de l'orphelinat, un groupe d'enfants court derrière un ballon. Plus loin quelques fillettes s'amusent avec des poupées "Barbie" offertes par un généreux mécène arménien de la diaspora. "L'Etat arménien n'a que très peu de moyens, nous sommes un pays pauvre. Mais grâce aux donateurs de la diaspora et à l'Eglise arménienne, nous pouvons dire aujourd'hui que notre établissement est proche des normes européennes" ajoute Suzanna avec une fierté non dissimulée.

Hratchig, très affectif nous tend un dessin qu'il vient d'exécuter en quelques minutes. Il représente un homme et une femme tenant dans leurs bras trois enfants. "Cet homme c'est le père qu'il n'a pas eu et cette femme, c'est la mère qu'il n'a pas eu le temps de connaître. Quant à ces enfants, c'est l'image de la famille qu'il n'aura pas eu..." nous dit Suzanna avec une infinie tristesse. Elle caresse les cheveux châtains du jeune garçon qui l'entoure de ses bras frêles. La scène est difficile et à la limite du supportable. En un éclair, vinrent sans ma mémoire l'image de mes grands-parents orphelins à cinq ans, lors du génocide de1915. Mon grand-père Megeurditch Torikian errant seul dans les plaines d'Anatolie à la recherche des siens. Un sentiment de détresse parcourut alors ma tête en imaginant ces millions d'orphelins à qui on avait spolié l'essentiel de leur vie: l'amour d'une mère et d'un père, la chaleur réconfortante d'une famille...C'est aussi peut-être de ces malheurs répétés que les Arméniens ont hérité l'amour de la famille, maintes fois mis en exergue comme l'une des qualités du peuple arménien. Et si aujourd'hui en Arménie, le sort de quelques centaines d'enfants abandonnés inquiète les sociologues, c'est parce que ce phénomène semblait jusqu'ici étranger dans les comportements du peuple arménien très attaché à la famille, et plus particulièrement à ses enfants. Synonyme de vie et de conservation du patrimoine génétique après un horrible génocide qui faillit décimer tout un peuple au début du XXème siècle.

                                   Krikor Amirzayan

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